Pourquoi recycler l'urine humaine pourrait transformer l'agriculture ?

Ce que vous urinez n’est peut-être plus un déchet
Peut-on imaginer que notre propre urine devienne la clef d’une agriculture plus durable ? L’idée peut faire sourire, voire rebuter. Pourtant, à l’heure des crises écologiques, des tensions sur les ressources et de la nécessité de repenser nos systèmes agricoles, l’urine humaine est en train de sortir des toilettes pour revenir à la terre.
Dans des festivals, des écoles, des centres culturels, des urinoirs secs collectent déjà ce fluide autrefois considéré comme un simple déchet. Des chercheurs, agriculteurs et collectivités le confirment : nous tenons là un engrais d’avenir, bon marché, local et très efficace. Il s’agit non seulement d’un recyclage intelligent, mais aussi d’un changement de regard sur nos propres excrétions.
Une ressource locale, gratuite et inépuisable
Chaque être humain produit environ un litre et demi d’urine par jour. Riche en azote, en phosphore, en potassium mais aussi en oligo-éléments (fer, magnésium, calcium, zinc, cuivre…), l’urine contient l’essentiel des nutriments issus de notre alimentation. Lorsque nous mangeons, les nutriments qui ne sont pas utilisés par notre corps sont excrétés… et majoritairement dans l’urine.
Ce qui signifie que l’urine est, en soi, un engrais naturel extrêmement complet. Et contrairement aux engrais de synthèse, souvent importés, coûteux et dépendants du gaz ou du phosphate extrait de mines étrangères, l’urine est produite localement, quotidiennement, et gratuitement.
De l’or au fond des toilettes : une histoire oubliée
Historiquement, l’urine a toujours été utilisée en agriculture. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, avec l’avènement des engrais chimiques et le développement des toilettes à chasse d’eau, que ce cycle naturel a été rompu. Les matières organiques ont été diluées, évacuées, puis « traitées » dans des stations d’épuration dont la logique n’est plus la valorisation… mais la destruction.
Conséquence : une pollution croissante des eaux, une surconsommation d’eau potable pour des usages non essentiels, et une agriculture dépendante d’importations coûteuses.
Des expérimentations concrètes, des résultats probants
Aujourd’hui, des programmes comme Okapi ou Toilettes Fertiles remettent l’urine au centre du débat. À l’École des Ponts et Chaussées, des chercheurs ont installé des urinoirs secs reliés à des cuves de collecte. L’urine y est stockée pendant six mois, un délai suffisant pour garantir une hygiénisation naturelle conforme aux recommandations de l’OMS.
Les tests agronomiques réalisés dans les champs sont sans appel : le lisain humain (urine brute stockée) donne des rendements comparables aux engrais chimiques. Sur du maïs, du blé ou même dans la vigne, les résultats sont bons… et sans odeur.
Les agriculteurs en première ligne
Pour Olivier Chaloche, agriculteur bio dans le Loiret, l’urine est une ressource sous-exploitée : « Chaque matin, je pisse sur mon gazon et il devient d’un vert éclatant ! » blague-t-il. Plus sérieusement, la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) a interrogé ses membres : 80 % des producteurs bio se disent prêts à utiliser l’urine, à condition de disposer d’un cadre clair et de garanties sanitaires.
Le problème ? L’usage de fertilisants humains n’est pas encore autorisé en agriculture biologique. Mais des projets comme Mona (Matière Organique Non Agricole) visent à faire évoluer les règlements. L’enjeu est de taille : avec la raréfaction des fumiers (liée à la baisse de l’élevage), les bio doivent trouver d’autres sources d’azote.
Réduire la pollution, économiser l’eau
Outre son intérêt agronomique, recycler l’urine est aussi un geste écologique. En évitant l’usage d’engrais de synthèse, on limite les rejets d’ammoniac et les émissions de gaz à effet de serre. En séparant l’urine à la source, on économise aussi de l’eau potable : environ 30 % de notre consommation domestique part dans les toilettes.
De plus, les stations d’épuration peinent à traiter efficacement les nutriments et résidus médicamenteux présents dans l’urine. En les détournant en amont, on évite une part importante de pollution des cours d’eau.
Les freins : tabous, réglementation et ignorance
Le principal obstacle reste culturel. « Le pipi data », comme disent certains, suscite encore gêne et réticence. Pourtant, des expériences menées dans des lycées, des festivals ou même des programmes d’AMAP montrent que le dialogue, l’éducation et la transparence font évoluer les mentalités.
Sur le plan réglementaire, la France accuse un retard par rapport à la Suisse ou à la Suède. Il n’existe pas encore de cadre dédié à l’utilisation agricole de l’urine humaine. Seule la loi sur l’eau s’applique, avec des obligations de déclaration au-delà de certains volumes.
Mais les choses bougent : des projets pilotes émergent à Bordeaux, Lyon, Angers. Le programme Okapi a même produit des biscuits avec du blé fertilisé à l’urine. Résultat ? Aucun goût suspect, mais un débat utile pour faire avancer l’acceptabilité.
Une solution circulaire pour un futur sobre
Réintégrer l’urine dans le cycle de la matière, c’est réapprendre à faire avec ce que l’on est. C’est aussi une opportunité inédite de reconnecter les villes et les campagnes, de repenser nos usages de l’eau, et de rétablir une forme de souveraineté alimentaire.
Comme le résume le chercheur Fabien Esculier : « L’urine est une ressource, pas un déchet. Et une société soutenable devra apprendre à la traiter comme telle. »
FAQ – Ce qu’on se demande souvent
Peut-on utiliser son urine dans son jardin ? Oui, diluée (1 part d’urine pour 9 parts d’eau) et pas sur les légumes-feuilles consommés crus. L’OMS recommande 6 mois de stockage pour un usage plus large.
Y a-t-il des risques sanitaires ? Pour l’usage domestique, le risque est très faible. Des protocoles de stockage suffisent à éliminer les pathogènes. Des recherches sont en cours sur les résidus médicamenteux.
Pourquoi ce n’est pas autorisé en bio ? Parce que la réglementation actuelle ne reconnaît pas encore les excréta humains comme engrais. La FNAB milite pour faire évoluer ce point.
L’urine sent-elle mauvais ? Pas si elle est bien stockée. Le lisain ne dégage pas d’odeur forte après traitement. De plus, les systèmes modernes de collecte évitent les nuisances.
Quels types de plantes peut-on fertiliser ? Quasiment toutes, à l’exception des légumineuses (qui fixent déjà l’azote). Le maïs, le blé, les arbres fruitiers ou la vigne répondent très bien.
Prenez soin de vous.
L'équipe Bio center ❤️